Aujourd’hui je ne me sens pas à ma place. J’aimerai être ailleurs. Je suis fatigué.
Pourtant je dors mieux et je ne tousse plus. Je suis serein de t’aimer et d’aimer Mélanie.
J’essaie de garder le cap. Mais certaines choses m’exaspèrent. Je ressens quasiment de la honte à me dire que cette famille, ce père, ces gens ne m’intéressent pas tant que toi. Est-ce que je me suis trop éloigné toutes ces années au Québec? Je ne me reconnais plus en eux. Tant de mes valeurs ont changées. Et puis je vois ce père qui vieilli, qui me fait peur, car je ne peux pas être comme cela. Ce midi, je lui aurai sauté à la gorge pour lui extraire des excuses dont il n’a surement aucune idée du pourquoi il devrait en faire. J’aurai tellement pu le piquer, avec mes mots, le découper en tranches, lui qui en a si peu. J’aurai pu le réduire à quelque chose de si petit qu’il aurait pu se cacher sous le buffet. Les mots étaient là, prêts, aiguisés, structurés et avides de trancher… et puis, c’est devenu clair. C’était trop facile, c’était injuste, je ressentais de la pitié. Je me suis levé au milieu de ma phrase qui annonçait une pique acérée et je suis parti calmement faire la vaisselle. Mélanie récupère la situation et ma mère vient me voir dans la cuisine. Je m’excuse, elle comprend. Elle s’excuse pour lui, je comprends. Et puis en lavant ces assiettes, seul, je réalise que je ne serai pas comme lui car j’ai déjà pris un autre chemin. Certes, il me faudra être vigilant mais j’ai déjà trop vécu, trop vu, pour ne pas être éveillé et je pourrai gravir l’échelle, la double hélice d’ADN sans avoir peur qu’elle mène à la même place. L’échelle est l’outil qui me permet de monter, la direction, ce sont mes mains la choisissent… Ce sont mes yeux qui choisissent sur quelle branche poser le haut de l’échelle.