Tu m'as souvent demandé cette question: "Pourquoi?", ce à quoi je ne savais trop quoi répondre. J'aurais voulu te donner une réponse, mais la réalité, c'est que je ne comprenais pas très bien ce qui m'empêchait de me lancer dans l'aventure.
J'ai cherché toute sorte de raisons rationnelles pour expliquer mon inaction: l'ex-femme, le drama, la différence d’âge, le jugement des autres, la distance, etc. Et pourtant, je n’arrivais pas à me convaincre moi-même que c’était ça la raison. Ce n'était aucune de ces raisons qui pouvaient entraver ainsi mon mouvement. Il devait y avoir autre chose. J'ai donc cherché des réponses ailleurs que dans la sphère du rationnel. Je me suis tournée vers les émotions.
Je me disais que, peut-être, j'y trouverais là des réponses qui allaient m'aider à faire un choix, et à me faire avancer. J'ai donc tenté de réapprendre à laisser venir mes émotions, à les sentir m’habiter, à les écouter. Avec toi, je me suis ouverte peu à peu à les vivre. J’ai senti à nouveau la joie, la peine, l’amour, la colère, le désir, la jalousie… Bref, j’ai senti la vie réapparaître en moi. Mais sentir les émotions ne suffit pas. Faut-il encore savoir les interpréter pour qu’elles donnent un sens aux choses et aux situations. J’avais l’impression d’être celle qui récite un poème comme une liste de mots, sans en comprendre le sens. Les mots – les émotions- peuvent être magnifiques, mais ils ne peuvent avoir d’impacts que si on en comprend le sens du message qu'ils portent. J’ai donc appris que la beauté et la vérité ne se révèlent pas à ceux qui écoutent, mais à ceux qui font l’effort de comprendre. J’ai donc essayé de comprendre ce que je ressentais. Il a fallu pour ça apprendre le langage de mes émotions. Comme pour toute nouvelle langue, l’apprentissage est ardu et sans fin. Par contre, au fil du temps, j’en suis venue à me connaître un peu plus. À force de me poser la question « Qui suis-je vraiment? », j’ai fini par trouver quelques réponses. Et je dois dire que cette question est, bien malgré moi, encore d’actualité, et le sera surement toujours. Comment faire autrement alors que la vie évolue, et qu’avec elle nous changeons constamment?
Mais malgré ces apprentissages, je ne comprenais toujours pas mon inaction. Pourquoi toutes ces peurs? Pourquoi préférer le statu quo?
Le travail des derniers mois m’a appris que les émotions ne mènent pas directement à des réponses, et encore moins à des choix de vie. À ne se fier qu’aux émotions, on peut rater notre destination. Les émotions ont tendance à emprunter sans cesse les mêmes chemins, et à faire de drôles d’associations entre elles. Voilà : il ne suffit pas de ressentir et d’interpréter les émotions, il faut aussi comprendre la mécanique derrière celles-ci, les liens qui les unissent, et faire l’effort de corriger celles qui sont problématiques et qui empêchent la machine d’avancer. Là est le problème de mon inaction – la mécanique de mes émotions.
De vieilles situations ont tracé des chemins dans mon cerveau qui perdurent encore aujourd’hui. Tu actives en moi l’amour et la joie, comme le faisait mon père. J’ai hésité à te parler de ce rapprochement, car je sais que j’en ai dépeint un portrait très négatif. Ce que tu ne sais pas, c’est toute l’intensité et l’amour que j’ai partagé avec lui, et que j’ai ressenti à son égard. Tu as les beaux côtés de mon père – l’intensité, la passion, la sensibilité, la vitalité... Tu as toutes ces choses qui me touchent au plus profond de moi, et qui me manquent aujourd’hui terriblement. Ce que j’ai compris, c’est que j’ai associé ces choses que j’adore chez toi aux blessures que j’ai vécues avec mon père. Comme si elles étaient des choses inséparables. Des émotions positives empruntent encore aujourd’hui des chemins qui mènent à des peurs. Ces combinaisons sournoises et persistantes ont pour effet de me paralyser. Le travail que je fais actuellement, c’est de défaire ces liens, et de tracer de nouveaux chemins qui me permettront d’être et de vivre comme je le devrais.
Ça doit te sembler farfelu tout ça, et pourtant, pour moi, les choses ont finalement un sens, et le travail que je dois faire, une direction. Je dois apprendre à défaire des associations pour me permettre de vivre cet amour.
Ce n'est donc pas toi qui n'es pas assez, ou qui es trop. Ça ne l’a jamais été. C'est ma tête qui doit comprendre que les choses peuvent être différentes.
Je ne m’attends pas à ce que tu comprennes. Ta tête est différente, et c’est bien heureusement. Mais je tenais tout de même à ce que tu saches le peu que je crois aujourd’hui comprendre sur moi-même après le travail des derniers mois, et la douleur des derniers jours.
J’espère te retrouver un jour, et pouvoir t’offrir en cadeau tout l’amour que je ressens, et qui t’appartient.
7-4